nous ne sommes pas extrêmement poussés au derrière par les personnes en situation de handicap pour le numérique parce qu’elles ont d’autres urgences vitales, comme l’accès à l’emploi, à la santé, ou au transport.
Transcription
Nicolas: Bienvenue sur le Podcast A11y Rules. Ceci est l’épisode n°3. Je m’appelle Nicolas Steenhout et je parle avec des gens impliqués de près ou de loin avec l’accessibilité Web. Si l’accessibilité vous intéresse, ce Podcast est pour vous. Merci à Access42 de sponsoriser la transcription de cet épisode. Access42 est une société de conseils, d’audit et de formation spécialisée en accessibilité numérique. Elle a pour mission de rendre le Web accessible aux personnes dans une situation de handicap. Vous pouvez les trouver sur leur site https://access42.net.
Mon invité aujourd’hui est Olivier Nourry. Ça fait quand même à peu près trois ou quatre ans qu’on se connaît sur Twitter surtout. Bonjour, Olivier.
Olivier : Bonjour Nic.
Nicolas : Merci de passer sur le Podcast pour parler d’accessibilité Web. C’est un sujet que je sais qui te tient bien à cœur. J’aime bien que les invités se présentent eux-mêmes donc en bref, qui est Olivier Nourry?
Olivier : Vaste question. Écoute, j’ai 26 ans… 26 ans? Ouh la la! Lapsus! Et pourtant j’lai répété celui-là. J’ai 46 ans, je suis marié et j’ai deux enfants. Et je suis actuellement consultant d’accessibilité et à mon compte depuis deux ans. C’est une activité que je pratique avec passion depuis une dizaine d’années.
Nicolas : Et être à ton compte depuis deux ans, ça va pour toi?
Olivier : Écoute oui. Je suis vraiment très heureux. Je suis convaincu d’avoir fait le bon choix. Ça me permet d’avoir une grande liberté d’action et surtout de m’intéresser au sujet sans avoir effectivement à rendre compte de pourquoi je suis à telle conférence, pourquoi je fais des interviews avec telle personne au Canada ou des choses comme ça. Donc effectivement, c’est pour moi une grande liberté et puis ça me permet aussi d’ajuster le temps de travail pour m’adapter aux différentes contraintes, comme les décalages horaires comme je ne sais pas l’enfant malade, des choses comme ça. Donc ça me permet de concilier effectivement ma vie de tous les jours avec ma vie professionnelle.
Nicolas : C’est important de pouvoir balancer les deux, parce que sinon soit on travaille trop ou pas assez. Il n’y a jamais de fin avec ça.
Olivier : Moi, j’ai ce truc particulier, je n’ai jamais l’impression d’avoir fini. J’ai besoin de me discipliner et en même temps, la liberté, la flexibilité des horaires, c’est quelque chose qui me convient tout à fait.
Nicolas : Commençons l’entrevue elle-même par une question : « dis-nous quelque chose que peu de gens connaissent à ton sujet ».
Olivier : Figure-toi que je n’ai pas toujours été dans l’Informatique, même loin de là. J’ai une petite formation technique si tu veux, généraliste puisque j’ai un diplôme d’ingénieur. Dans ce parcours j’ai fait un petit peu de programmation, tu vois dans des langages comme le C, le pascal le lisque ou l’assembleur, des trucs qui ne servent pas du tout quoi. Mais ça m’a donné quand même des bases d’algorithmique. Donc au début de ma carrière, j’étais concepteur de produits industriels.
Nicolas : Ah oui.
Olivier : Oui, oui. Je travaillais dans un bureau d’études. Je travaillais sur des logiciels de conception assistée par ordinateur pour créer des produits, des prototypes. Et j’ai travaillé notamment pour des gens qui font des roulements à billes et qui souhaitaient y intégrer des composants électroniques.
Donc les cinq premières parties, soit cinq premières années de ma vie professionnelle, j’étais en gros sur une planche à dessin, dans un atelier et à fabriquer des roulements prototypes.
Donc rien à voir avec ce que je fais aujourd’hui évidemment.
Nicolas : Tu sais plus je parle aux gens, plus je me rends compte que la plupart des gens qui sont dans le domaine de l’accessibilité n’ont pas commencé dans ce domaine-là. Par exemple moi au départ, j’étais cuisinier. Ce qui n’a rien à voir avec l’Informatique ou la Programmation ou l’accessibilité ou le Web. Mais bon, toi tu faisais des roulements à billes, il y a toutes sortes de gens qui ont débuté dans des métiers pas directement reliés. Mais de ton expérience de faire ce design industriel là, est- ce que tu trouves qu’il y a des choses qui se relient, des pratiques ou des pensées ou des manières de faire qui relient les deux.
Olivier : Moi ce qui m’a frappé c’est en fait les différences. Quand j’ai commencé dans le Web, c’était notamment de voir qu’il y avait une énorme différence dans la rigueur en fait des choses, quand tu es dans le monde de conception de produits, tu es contraint par énormément de choses. et dont certaines que tu ne peux pas dépasser en particulier les lois de la physique. Voilà. Tu ne peux pas décider de prendre tel plastique parce que tu le trouves joli. Tu es obligé de choisir un plastique en fonction de ses caractéristiques. Et tu ne pourras pas contourner ces choses-là. Tu dois aussi aller au maximum à l’économie.
Donc par exemple quand tu dessine une pièce, tu dois penser à la façon dont elle va être fabriquée. Tu vas penser à la façon dont elle va être recyclée. Toutes ces considérations-là qui sont un énorme champ de contraintes. Mais qui est normal, je dirais, dans ce métier.
Quand je suis arrivé sur le Web, ce qui m’a frappé c’est qu’en fait les contraintes étaient extrêmement légères. Et qu’on pouvait se permettre de télécharger un Framework de 5 mégas sur une page Web. Sans trop y penser, pour la personne qui fait la conception, ça ne change rien parce que ça coûte autant, en termes de travail, voire même ça coûte moins. Voilà, c’est tout préparé, c’est tout mâché, il n’y a plus qu’à coller les 2 codes et on est tranquille. Mais on n’a pas du tout l’impact que ça a sur l’utilisateur. À savoir que quand je télécharge une page, qu’elle fasse 50 kgs ou 50 mégas, ce n’est pas du tout la même chose en fait d’expérience utilisateur. Et pour quelqu’un qui développe c’est quelque chose qui est rarement perçu et très rarement pris en compte. Et moi ça m’a vraiment frappé et j’ai commencé dans le Web en 2000 tu vois à l’époque c’était encore, c’était beaucoup plus artisanal que maintenant. On avait des navigateurs qui faisaient ce qu’ils voulaient, qui n’utilisaient pas les standard. Donc ils faisaient chacun leur propre façon de comprendre le HTML. Je trouvais que c’était, je vais utiliser un gros mot très bordélique. Comparativement au monde d’où je venais, c’était très carré sur les procédures sur la sécurité, sur les normes environnementales et autre. Et ça c’est pour moi une très grande différence, à la fois je trouvais génial parce qu’on pouvait expérimenter plein de chose gratuitement. Et en même temps je me disais aussi qu’on passait à côté des bienfaits de la rigueur.
Et ça je l’ai vu notamment dans mes premières missions chez les clients puisque je suis rentré dans une boîte informatique classique. J’ai commencé à faire du développement je dirai chez les clients en régie. Et je trouvais qu’on n’était pas du tout rigoureux et que ça pénalisait les projets en fait. Parce que j’ai passé énormément de temps à corriger des choses qui n’auraient pas dû être là. Et moi qui venais ce monde-là, j’étais assez chagriné de voir ça. Et je le retrouve l’accessibilité vraiment où je me rends compte qu’une grosse partie du problème qu’on avec du code inaccessible c’est un manque de rigueur, c’est un manque de savoir-faire aussi de professionnalisme parfois. Où on doit corriger des trucs basiques voilà tout le monde peut commencer à faire du Web du jour au lendemain et monter un site dans son garage. Mais en faire un métier, ce n’est pas encore, même aujourd’hui en 2018 ce n’est pas donné à tout le monde encore.
Nicolas : Et comment est-ce que cette réalisation-là que tu as eue influence la manière dont tu travailles aujourd’hui?
Olivier : Alors déjà, c’est ce qui m’a amené en fait à l’accessibilité. C’est à un moment, je me suis demandé est-ce que c’est possible qu’on se contente de ça, et j’ai trouvé les standards notamment les travaux du W3C. Et en m’intéressant aux standards, je suis arrivé assez naturellement en fait à tomber sur l’accessibilité, et pas n’importe quand, il y a une date bien précise c’était en février 2005 et cette date-là en France il y avait quelque chose c’était le mois où a été rendu officielle la loi handicap qui aujourd’hui encore donc régit toute la question du handicap en France. Et dans cette loi handicap il y avait une énorme innovation pour l’époque qui était qu’il y avait un article effectvement dédié au Web. Et donc en particulier le Web des administrations qu’elle soient de niveau national ou de niveau local.
Donc ça, c’était complètement révolutionnaire à l’époque. Personne même ne savait ce que c’était. Et moi je suis tombé sur un article qui expliquait ce qu’était. Et là ça a été vraiment une vraie révélation.
C’était mon épiphanie réellement, parce que moi je m’intéresse, je suis sensible au sujet du handicap depuis tout petit pour des raisons familiales. Et je m’ennuyais un peu dans mon job pour tout dire, je ne voyais pas vraiment l’intérêt de continuer à faire des intranets et des sites vitrines pour des Banques et des Assurances, etc.
Et par contre là, avec l’accessibilité, je me suis dit qu’il y avait quelque chose qui me permettait de faire le bien autour de moi, de faire des choses positives pour les utilisateurs. Et en particulier, pour les utilisateurs qui en ont le plus besoin. Et donc pour moi ça répondait complètement à mes aspirations si tu veux. À contribuer à un monde meilleur de manière très naïve et très idéaliste. Et en même temps faire mon boulot et surtout le faire avec beaucoup de sens. Et ça rejoignait parfaitement aussi mon envie de faire des choses plus rigoureuses de plus professionnelles et très clairement travailler sur le code pour le rendre accessible, c’est quelque chose qui impose de la rigueur, qui impose un certain formalisme aussi, un sens de détail qui me convenait tout à fait.
Nicolas : À chaque personne à qui je parle depuis un an pour le Podcast, je pose cette question : quelle est ta définition pour l’accessibilité Web? Alors il y a des réponses qui varient d’une fois à l’autre. Je serai curieux de savoir ta définition, c’est quoi?
Olivier : Ma définition si tu veux c’est que l’accessibilité, alors pas uniquement Web, mais on va dire que l’accessibilité Web c’est une spécialisation de ça. C’est que l’accessibilité, c’est un droit. C’est un droit humain. Et c’est aussi la condition technique pour que ça exerce un certain nombre de droits pour spécifiquement les personnes handicapées donc. Le droit à l’accès à l’information, à l’emploi, à la santé, et à la culture, etc.
Tous ces besoins-là sont des besoins qui ne sont pas accessoires du tout, qui sont parfaitement légitimes et qui sont légitimés par l’ONU, qui sont rentrés dans les droits humains via la convention relative aux droits des personnes handicapées. C’est ça l’accessibilité en fait.
C’est permettre l’exercice de ces droits. Et à partir du moment où moi j’ai vraiment intégré ça, ça m’a aussi changé ma façon de voir mon métier qui n’était pas juste un enjeu technique, un challenge technique. Ce n’est pas que ça. C’est aussi un enjeu social, sociétal et c’est le message que j’essaie de faire passer aujourd’hui. Parce que quand on comprend ça, d’un point de vue moral, d’un point de vue mental, les barrières dans sa tête se lèvent en fait. C’est-à-dire que tu ne dis plus, bon c’est une contrainte, c’est un truc en plus, c’est pénible, etc. Tu te dis : non en fait les gens en ont besoin et en ont besoin pour de bonnes raisons. Et c’est à moi de me mettre au niveau pour satisfaire ce besoin. Voilà, c’est comme ça que je vois l’accessibilité.
Nicolas : Je parle souvent aux développeurs qui me disent, merde l’accessibilité c’est compliqué, c’est une grosse tache et je leur dis oui, mais écoute tu es un codeur, tu aimes bien le défi technique. Et ils me disent : oui,oui, j’aime bien les défis techniques. Et je leur dis, mais pense à l’accessibilité en tant que défi technique avec des besoins humains derrière ça. Et tout d’un coup quand on peut changer cette perspective-là, c’est très intéressant de voir ce déclic, ce moment Eureka! dans la tête du développeur qui se rend compte qu’en fait, oui c’est pour aider les gens, mais c’est aussi pour eux qui soient un beau défi technique.
Olivier : Oui je vois des gens qui font des trucs extrêmement complexes, qui gèrent des processus en parallèle dans un navigateur et autres, et qui sont un peu perdus quand on leur explique à quoi sert un attribut ARIA ou un attribut Alt. Alors qu’en fait c’est l’accessibilité d’un point de vue c’est quelque chose qui n’est pas insurmontable loin de là et notamment pour des gens qui sont très forts en code. Ce qui n’est pas mon cas, moi j’essaie de courir derrière, mais en tout cas voilà, j’ai un certain nombre de notions sur comment devrait être une page Web. Et quand on leur explique finalement les détails techniques et pourquoi ils sont là, c’est clair qu’il y en a qui disent : oui en fait c’est simple. C’est juste qu’on ne savait pas. On n’y avait pas pensé. On n’avait pas envisagé, on ne savait pas pourquoi cet attribut alt, qui nous est pénible donc on mettait toujours un truc au hasard. Une fois qu’ils savent pourquoi, voilà le problème est réglé. Finalement les problèmes difficiles en accessibilité, ce ne sont pas si courants que ça. Et c’est ça que moi j’aimerais avoir à traiter uniquement. Je passe beaucoup trop de temps, je dirais les trois quarts de mon temps à traiter des problèmes qui sont simples, qui n’auraient pas dû être là si on avait une bonne culture du HTML à la base.
Nicolas : Oui. Ca me surprend toujours que plus de vingt après le début de mon travail d’accessibilité Web, je dois encore expliquer c’est quoi le but d’un attribut Alt et comment l’utiliser. Ça me sidère un peu. J’avais espéré qu’après dix ans, quinze ans, vingt ans, on serait passé au-delà de ça, mais pourtant, c’est une tâche à refaire un peu comme le rocher de Sisyphe.
Parlant de ce qu’on fait, bon tu disais que tu es Consultant indépendant Web, qu’est-ce que tu fais exactement comme consultations, avec qui tu travailles, quel genre de choses fais-tu?
Olivier : Bien si tu veux, nous en France, les clients c’est pas mal le secteur public. Parce que notamment on a cette loi qui impose aux administrations de rendre leurs sites accessible. C’est une loi d’ailleurs qui n’est pas uniquement Française, elle est aussi Européenne. Et donc moi je travaille pas mal pour les administrations comme je suis tout seul, je suis aussi associé avec des amis professionnels on va dire. Notamment ce sont des gens avec qui on a travaillé sur le référentiel d’état en France qui s’appelle RGAA c’est peut-être un terme qui t’est familier. Donc depuis 2014 et jusqu’en 2017on était titulaire du marché d’accompagnement de l’État pour le RGAA c’est-à-dire la version trois actuelle c’est notre groupement qui l’a rédigé et proposé à l’État français et ainsi que toutes les ressources qui tournent autour, il y a une cinquantaine de ressources qui ont été créées pour l’État français qui sont sur GitHub d’ailleurs et qui sont en licence libre et totalement gratuites et qui donc ont été produites par notre groupement. Et moi mon rôle là-dedans ça a été de coordonner tous ces gens qui sont très talentueux, bien plus que moi, et également d’assurer la liaison avec le client, l’État, en tout cas le service qui représentait l’État pour la gestion de l’RGAA, et c’était vraiment une tâche exaltante et passionnante, j’ai appris énormément sur le fonctionnement de l’administration, pas que des choses glorieuses, mais c’était quand même très utile. Et puis tout ça, ça crée, ça donne aussi une certaine confiance en ce qu’on fait, en le métier et moi aujourd’hui ce que je fais c’est de l’audit RGAA notamment, de l’accompagnement d’équipes que ce soit pour des développeurs, que ce soit pour des graphistes, des ergonomes ou autre, de la formation bien sûr, ça, c’est plus ce que je préfère, ça tombe bien, oui. J’adore moi c’est-
Nicolas : Oui
Olivier : Tu parlais toute à l’heure de l’Euréka chez les développeurs, moi c’est cette petite étincelle dans l’œil de la personne que tu es en train de former qui tout à coup percute, ça y est j’ai compris de quoi on parle et j’ai compris pourquoi on fait ça, c’est ma plus grande récompense très clairement quand je la détecte cette étincelle, je travaille pour quelque chose et je sais qu’il y a un paladin de plus dans la nature qui va aller combattre les bugs d’accessibilité qu’il va aller rencontrer. C’est ce que je fais.
Nicolas : Tu disais il y a quelques moments que tu étais intéressé aux questions handicaps depuis que tu étais très jeune, peux-tu –
Olivier : Oui mais si tu veux j’ai une sœur qui est handicapée depuis la naissance et qui est lourdement handicapée d’ailleurs toujours à la charge de mes parents, ce qui fait que j’ai été très tôt, très petit en contact avec ce monde du handicap et j’ai rencontré beaucoup de gens très divers, alors plutôt par l’intermédiaire des parents, ce qui est encore un angle particulier, les parents d’enfants handicapés mais malgré tout j’ai côtoyé tout petit des gens qui étaient on dit aujourd’hui handicapés ou en situation de handicap mais à l’époque on avait des mots qui était bien plus durs, en tout cas j’ai assisté à cette évolution de mentalité, j’ai aussi vécu je dirais par proxy le regard des gens sur les personnes handicapées, les difficultés qu’on peut avoir quand on est handicapé notamment ma sœur est en fauteuil et autre donc et elle est pas du tout autonome donc mes parents sont ceux qui la conduisent dans son fauteuil roulant et j’ai toujours été sensible à ça et aussi toujours été attentif effectivement aux besoins des personnes comme ma sœur et d’autres et c’est vraiment sur la fin de mon parcours , là où je comprends la dimension quasiment politique du handicap, quelque chose qui est un peu nouveau chez nous en France on n’a pas vraiment cette histoire ,comme il y a en Amérique du nord, des activistes qui ont d’ailleurs amené l’ADA, qui ont amené la résolution de l’ONU et c’est des travaux très importants, des actions très importantes mais en France on découvre un peu tout ça je t’avoue, on n’est même pas très nombreux à être conscients que ça existe tout simplement, il y a quelques associations qui commencent à se monter mais c’est vraiment très rare et on a en plus un tissu associatif qui est très hérité du domaine de la charité ou de l’assistance et qui est également très lié pour les financements aux pouvoirs publics et donc c’est pas forcément des interlocuteurs les plus adaptés pour la défense des droits des personnes handicapées dans la société même si ils ont quand même un discours qui permet de dire « Ils font ça pour les personnes handicapées » mais les gens qui le revendiquent en tant que droit à exister et à vivre dans la société chez nous c’est pas encore ça. Et moi je découvre ça depuis quelques mois et franchement j’aurais aimé le découvrir avant, mais ce n’est pas grave, il n’est jamais trop tard et ça donne très clairement une autre impulsion à mon travail, une autre raison encore de le faire même si je le sentais intuitivement, aujourd’hui c’est au cœur de ma réflexion et d’ailleurs je me suis rendu compte que les personnes auxquelles je m’abonne sur Twitter par exemple ces derniers mois c’est quasiment que des personnes handicapées qui ne sont pas dans le domaine de l’accessibilité numérique, ce qui me permet notamment de relativiser aussi l’importance du numérique parce que c’est vrai que quand on est dedans on se dit « Mais pourquoi est-ce que les gens ne réclament pas plus d’accessibilité ? Qu’est-ce qu’ils attendent et tout ? » Mais tu te rends compte que finalement ils ont aussi des besoins carrément urgents en termes d’accès à l’emploi ou à la santé et bien sûr ils sont aussi contents qu’on travaille sur le numérique, mais les urgences pour les personnes handicapées sont déjà plus vitales, voilà ce qui explique aussi, du coup ça m’aide à relativiser, qui explique qu’on ne soit pas extrêmement poussé au derrière par les personnes handicapées pour le numérique.
Nicolas : Penses-tu peut-être qu’il y a une relation entre cette approche de société vis-à-vis du handicap qui place la personne en situation de handicap comme étant l’objet de charité, qui est une personne assez passive comparé au fait que la plupart des développeurs ne connaissent pas l’importance de l’accessibilité Web ?
Olivier : Mais moi j’en suis convaincu. Et je pense que c’est vraiment la racine du problème, c’est comment qu’on perçoit les personnes en situation de handicap, comment on les envisage et à partir du moment où on est dans l’idée d’aider, dans l’idée de faire quelque chose de sympa pour ces personnes, on n’y arrivera pas parce qu’à un moment donné on va arbitrer le côté « je suis sympa », mais en même temps « j’ai des contraintes, j’ai des délais, etc. , mon chef m’a dit que », alors que si tu replaces ça dans le contexte du droit humain, pas du droit légal, mais des droits fondamentaux des humains, des êtres humains, tu n’envisages plus du tout comme quelque chose que tu vas faire par charité ou par bonté cœur, mais parce que c’est nécessaire et c’est nécessaire à des personnes qui sont déjà exclues de 1000 autres manières de la société et ça suffit, il y en a marre là, il faut vraiment qu’on passe à autre chose. On est une société où on fait la promotion de l’égalité depuis 200 ans maintenant et ça fait 50 ans ou 60 ans que l’on commence à enfin le voir pour les personnes, on dit racisées en France je ne sais pas si il y a ce terme-là au Québec, mais les personnes qui sont des personnes de couleur ou autres donc on va commencer à voir ce type de progrès, on va l’avoir aussi pour l’égalité hommes-femmes, enfin il était temps, mais pour le handicap on est encore 50 ans derrière donc on est en train de découvrir , nous en Europe en tout cas, cette chose-là. Moi j’espère que je pourrai participer à ce mouvement de par mes mots, de par mon action et aider à changer justement les mentalités non pas sur arrêter d’être hostile aux personnes handicapées parce que les gens ne le sont pas, mais ils sont comme tu dis perçus comme étant plutôt passifs, plutôt en attente d’aides ou de charités alors que ce n’est pas du tout l’enjeu quoi, vraiment.
Nicolas : Mais quand je faisais beaucoup de travail d’activisme au point de vue du handicap aux États-Unis il y a très longtemps on disait dans les années 50-60, les noirs en Amérique se battaient pour pouvoir voyager à l’avant des autobus, mais dans l’an 2000, les personnes en situation de handicap se battent pour pouvoir embarquer dans l’autobus et ce que tu décris semble faire un peu écho à ça?
Olivier : Totalement. C’est vrai que le handicap c’est une situation où on est mis en minorité si tu veux et qui a une particularité c’est que c’est associé à un obstacle technique, autant la discrimination pour la couleur de peau ou pour le genre, c’est purement des choses mentales, je dirais psychologique, des blocages psychologiques. Pour le handicap on a ce double blocage à la fois psychologique où effectivement comme tu dis on a une image de la personne en situation de handicap qui est négative, qui est réductrice et en plus de ça il y a objectivement et physiquement des obstacles techniques, c’est la technique où on ne pourra s’y attaquer que quand on aura levé l’obstacle psychologique parce que sinon pourquoi résoudre l’obstacle technique si on ne croit pas à la capacité de la personne. À partir du moment où on y croit et on sait que c’est possible et que le seul frein ce sont des freins techniques, on a fait le plus dur en fait, le frein technique devient juste une contrainte parmi d’autres qu’on va traiter comme les contraintes environnementales ou de sécurité qu’on fait habituellement.
Nicolas : Quand tu commençais à apprendre au sujet de l’accessibilité web, quelles barrières as-tu rencontrées, toi.
Olivier : Je pense que le plus difficile était pas dans l’exercice du métier, mais plutôt vis-à-vis de la hiérarchie que j’avais à l’époque qui au départ m’a soutenu puisque moi je leur ai vendu entre guillemets le sujet en disant « on est une entreprise de services numériques, on a des clients dans le service public, ces clients vont être obligés de rendre leurs sites accessibles, là on a un boulevard » très clairement je disais ça en 2005 à mon manager « on a un boulevard, personne ne le fait, personne ne sait ce que c’est », à partir du moment où la loi va l’imposer, ceux qui savent déjà faire auront une longueur d’avance et moi je croyais vraiment ça et ce qui s’est passé c’est que la loi en France, on a un système juridique un peu particulier, mais en tout cas la loi peut être là, mais tant qu’elle n’a pas été soit confirmée par un décret soit validée par un juge et bien c’est lettre morte en fait , il ne se passe rien, c’est le principe, mais on n’a pas encore l’application. Et on a attendu quatre ans pour avoir le décret de l’application qui a un petit peu refroidi les ardeurs de tout le monde parce que c’est vrai qu’on n’était pas très bien servi au point de vue professionnel, ça faisait quatre ans qu’on disait à nos clients« voilà, il va y avoir une loi » et puis quand elle est arrivée ce n’était pas si contraignant que ça, du coup malgré tout moi j’avais commencé à creuser mon petit sillon dans la boîte où j’étais, j’avais réussi à mener un petit peu de business, mais mon manager a fini par s’impatienter et à un moment donné il m’a dit, j’ai compris qu’il me soutenait plus , donc c’est à partir de là que j’ai commencé vraiment à aller travailler avec des gens qui eux faisaient vraiment l’accessibilité par conviction et pas uniquement par opportunité-business et c’est là que j’ai rencontré Jean-Pierre Villain tu connais sûrement de nom et qui à l’époque avait monté sa boîte quand je lui ai expliqué mes états d’âme il m’a dit « ben écoute, viens », et ça a été un des virages de ma vie professionnelle les plus importants et les plus marquants.
Nicolas : Fantastique. Olivier je pense que c’est une très belle note pour finir cette conversation pour cette semaine, merci d’être là, d’être venu, de partager toute cette information avec nous et à la semaine prochaine. Merci d’avoir été à l’écoute, si vous avez aimé ce podcast je vous invite à en parler avec vos amis et vos collègues. Il y a une transcription disponible sur le site du podcast sur https :a11yrules.com.